Quand vous êtes au beau milieu de la nuit, que vos yeux vous sont devenus inutiles pour vous repérer, ce sont vos mains qui, tâtonnant la pénombre, ont une chance de vous faire retrouver le contact avec le monde environnant... C'est peut-être la métaphore de cette nouvelle génération qui, cherchant à sortir d'un désarroi social et écologique, d'une déconnexion avec le sens du travail et le vivant, retrouve dans les arts de faire et les métiers de l'artisanat les conditions tangibles et créatives d'une présence aux autres et à soi-même.

Mais qu'est-ce que la main active en touchant ?

Des peintures rupestres aux orfèvres de la Renaissance, des tailleurs de pierre aux chirurgiens, le geste n'est pas ici une application mécanique d'une méthode mais bien l'activation d'une créativité qui entremêle mémoire, imaginaire et connaissance. Par cette « entrée en matière », l'appréhension de la réalité remonte de la main à la tête et construit des manières d'être en prise directe avec le monde dans la passion et la fierté d'un travail bien fait.

À l'image de l'Homo Faber qui transforme son milieu naturel en se formant lui-même dans cette métamorphose, les arts de faire offrent la possibilité de mettre une part de ce que l'on est dans ce qu'on fait, et délivrent ainsi l'« œuvrier » d'une rationalité instrumentale et productiviste mortifère. L’artisan rejoint l'artiste dans ce plaisir du tact et du contact avec la matière, tant ils partagent une expérience de l'attention, du sensible et de l'imagination qui rend possible la construction d'un monde commun humainement vivable.

Face à nos économies globalisées et nos modes de croissance insoutenables, ces nouvelles vocations pour le geste artisanal nous rappellent alors combien il est essentiel de se redonner du « cœur à l'ouvrage » et d'avoir la « main heureuse » quand on espère ajouter sa pierre à la beauté du monde... un monde à portée de main !

Patrick Amar